Joëlle Mongis, Psychologue clinicienne spécialisée TCA et Obésité

L’obésité comme une protection, l’histoire de Roxane GAY

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Roxane GAY est une écrivaine américaine d’origine haïtienne, elle est née en 1971, elle est auteure, professeure d’université et éditrice.

 

Ses parents ont émigré aux États-Unis et elle y a été élevée. Elle aborde la problématique de son obésité dans deux livres.

 

Le premier est « Bad feminist » dans lequel elle explique qu’elle considère ne pas être une bonne féministe. Ce n’est pas le plus intéressant pour moi, ce qui m’a marqué dans son essai, c’est le moment où, après avoir consacré plusieurs chapitres à des banalités : son arrivée dans une nouvelle ville, sa passion pour le scrabble et le fait qu’elle fréquente un club de scrabble… tout à coup, au détour d’un chapitre, elle raconte qu’elle a subi un viol collectif quand elle avait douze ans, ses agresseurs étaient des garçons de son âge, elle explique que cette expérience l’a détruite.

 

Dans son second livre « Hunger », elle dévoile de manière précise comment ce viol est arrivé mais avec une certaine pudeur.

 

La lecture de ce livre est malgré tout éprouvante.

 

Roxane GAY explique comment le fait d’avoir été violée, d’avoir été agressée sexuellement a détruit toute sa confiance en elle, son estime de soi et l’a amenée à un comportement destructeur. Ce comportement destructeur, choisi d’abord de manière inconsciente, puis analysé au fil du temps, c’est manger de façon excessive et grossir afin de désexualiser son corps et de le rendre indésirable.

 

La nourriture est devenue pour elle une drogue dans laquelle elle s’est réfugiée progressivement et dont elle n’a jamais pu se défaire. Elle a des problèmes d’obésité, de surpoids vraiment très importants, dépassant les 200 kilos, ce qui lui occasionne des difficultés au quotidien, les moindres étant de trouver des vêtements à sa taille ou d’occuper une place dans un avion, les pires concernant sa santé physique et la possibilité d’être prise en charge sur le plan médical, son poids rendant parfois difficile certaines interventions.

 

Dans ce livre autobiographique, elle explique qu’elle a fait plein de régimes sans réel succès.  Malgré les années, son poids est toujours un sujet qui vient masquer les autres, en particulier cette problématique liée à son estime de soi.

 

Ce viol, elle n’en a pas parlé à ses parents parce qu’elle avait tellement honte. Elle a été la victime de ces garçons alcoolisés et de son soi-disant petit ami, mais c’est elle qui a eu honte et s’est sentie coupable de ce qui lui est arrivé, elle qui s’est retrouvée considérée comme une fille facile au collège alors qu’elle avait été abusée par ces garçons.

 

Elle s’est reprochée d’avoir suivi ce garçon dont elle était amoureuse, de s’être retrouvée dans cette cabane dans la forêt où les amis de ce garçon attendaient qu’il leur livre cette proie qu’elle était devenue pour eux, elle a été piégée mais se l’est reprochée. Elle avoue être demeurée sous l’emprise de ce « petit ami » et avoir continué à le fréquenter malgré ce qu’il lui avait fait subir.

 

Le livre est tout de même une histoire de résilience et de reconstruction même si elle a le sentiment de ne jamais avoir réussi à vraiment se reconstruire après ces viols, cultivant ce poids excessif, véritable carapace qu’elle s’est construite pour devenir indésirable, et ne plus être victime d’agressions de ce genre.

 

De son livre elle dit :

 

" Il dévoile mes facettes les plus laides, les plus faibles, les plus à vif. C'est ma vérité"

 

Elle raconte faire encore des cauchemars. Pourtant, au moment de l’écriture du livre, plus de trente ans ont passé et elle en est toujours à essayer de surmonter ce traumatisme.

 

Elle décrit sans fards cette période de sa vie où elle avait entrepris de s’autodétruire pour se punir d’un évènement dont elle n’était pas coupable. Elle était plongée dans un profond désamour d’elle-même et a rencontré des gens qui faisaient écho à cela, qui lui renvoyaient cette image négative, qui en jouaient, qui abusaient d’elle, qui faisaient mal à son corps, et cela allait parfaitement dans sa logique d’autodestruction. Elle était enfermée là-dedans.

 

L’écriture a eu pour elle un rôle thérapeutique, lui a permis de mieux comprendre ce qui lui est arrivé et la façon dont elle y a réagi.

 

Roxane GAY a gardé le silence honteux de cette expérience traumatisante jusqu’à ses 40 ans.

 

Dans ce livre, elle parle de sa lutte contre son poids, exprime ce qu’elle ressent à être dans ce corps qui lui procure des sensations ambivalentes, elle l’a en quelque sorte construit comme une forteresse et il la protège mais d’un autre côté, il est insupportable car il la rend plus que visible, il est mal vu, mal aimé, dérangeant et elle a du mal à remédier à cela.

 

« J'avalais mes secrets et je faisais croître mon corps, je le faisais exploser. J'avais trouvé le moyen de me cacher au vu de tous, le moyen d'alimenter une faim que je ne pourrais satisfaire : la faim de ne plus souffrir. Je me suis rendue plus grosse. Je me suis mise plus en sécurité. J'ai créé une frontière visible entre moi et quiconque oserait m'approcher. J'ai créé une frontière entre moi et ma famille. J'étais l'un d'eux, mais sans l'être. »

 

Renoncer à sa forteresse pour être normale et désirable au sens commun du terme ou la conserver et se détester, elle est prise dans ce dilemme.

 

"Je me déteste. Ou la société m'incite à me détester, et j'imagine que ça, au moins, je le fais bien.
Je devrais plutôt dire que je déteste mon corps. Je déteste ma faiblesse, mon incapacité à le contrôler. Je déteste comment je m'y sens. Je déteste comment les gens me voient, comment ils le fixent des yeux, comment ils le traitent, comment ils en parlent. Je déteste corréler ma valeur personnelle à l'état de mon corps, même s'il est difficile d'évacuer cette corrélation. Je déteste la difficulté que j'ai à accepter mes faiblesses humaines. Je déteste la déception que je cause à tant de femmes en n'acceptant pas mon corps, quelle que soit sa corpulence. [..]"

 

L’obésité est multifactorielle. On doit prendre en compte l’histoire de la personne devenue obèse et qui souhaite perdre du poids afin de mieux identifier les leviers qui nous permettront de l’aider dans sa démarche. Dans le cas de l’obésité carapace, il y a un bénéfice certain pour la personne à être devenue obèse, il s’agit d’un mécanisme de défense à respecter et le but est de lui permettre de trouver d’autres façons non morbides de se protéger car nous avons tous ce besoin de protection et nous avons tous nos mécanismes de défense. L’idée, c’est qu’ils ne soient pas destructeurs et nous permettent d’entretenir une bonne estime de nous-mêmes.

 

« Quand vous êtes en surpoids, à bien des égards, votre corps entre dans le domaine public. Il est constamment à l'affiche. Les gens projettent dessus des histoires qu'ils s'inventent, mais la vérité de votre corps ne les intéresse pas du tout, quelle qu'elle soit. »

 

Ce livre autobiographique est une lecture passionnante lorsque l’on travaille avec des personnes souffrant d’obésité et invite à être humble en tant que thérapeute et à réellement s’intéresser à la personne dissimulée dans la forteresse qu’elle a fabriquée.

 

 

 

Pas de culpabilité.

 

Pas de restriction calorique car ce ne sont pas les calories qui comptent.

 

Mais de la détermination et l’envie de prendre de nouvelles habitudes.

 

Si vous êtes intéressé par mon approche, contactez-moi, nous prendrons un rendez-vous téléphonique pour en discuter.

 

 

Références bibliographiques :

 

« Hunger », Roxane GAY, éditions Points, 2020, le titre de la version américaine est : « Hunger, a memoir of (My) body », 2017

 

« Bad feminist », Roxane GAY, éditions Edito, 2018



14/01/2025
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